8
Bronan

Je tâtai précautionneusement ma tempe gauche, certaine d’y trouver une bosse de la taille d’un citron. Je me trompais à peine. Ma traversée ne s’était pas faite sans heurt. Je me relevai en grimaçant, une épaule et un genou douloureux. J’aurais dû maîtriser mon voyage. Pourtant, rien n’avait été comme pour les précédents. L’environnement, au lieu d’être d’un noir d’encre, avait été d’un bleu profond, et la sensation de vertige et les nausées avaient rapidement décuplé, m’obligeant à fermer les yeux. Quand je les avais rouverts, j’étais seule, toujours suspendue dans l’espace-temps, le cœur au bord des lèvres, sans que rien ne se passe. J’ignore combien de temps dura ce calvaire, mais je fus soulagée qu’il prenne fin malgré mon atterrissage catastrophique sur Bronan.

Un coup d’œil autour de moi me permit de constater que mon Cyldias n’était visible nulle part. Je jurai de frustration. Je tentai de le repérer magiquement, mais j’en fus incapable ; un grésillement incessant dans mon crâne douloureux m’empêchait de me concentrer efficacement. J’inspirai profondément, m’obligeant au calme. Il ne devait pas être bien loin. Maxandre m’avait dit que certains passages vers les autres mondes pouvaient, bien que partant d’une destination unique, mener à deux endroits différents. Elle n’en avait croisé qu’un dans sa vie, qui menait à Dual. Mais ça ne voulait pas dire que celui de Bronan n’avait pas cette caractéristique particulière.

Debout sur une plaque rocheuse s’étendant loin autour de moi, je ne voyais pas la moindre trace de végétation, ni âme qui vive. Ce qui ne signifiait pas que mon arrivée était passée inaperçue. Que faire maintenant ? Nous devions régler la question des origines d’Alix avant toute chose. Or, je me voyais mal partir à la recherche d’une famille qui m’était tout aussi étrangère que le monde dans lequel elle vivait.

Je m’apprêtais à faire une seconde tentative de repérage quand, à moins d’un mètre, un objet scintillant attira mon attention. Curieuse, je le ramassai. Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître l’anneau de Salomon d’Alix. Cette bague permettait aux Êtres d’Exception, entre autres, de parler et de comprendre n’importe quelle langue de la Terre des Anciens et des mondes gravitant autour. Mon Cyldias l’avait-il perdue ou le lui avait-on sciemment enlevée ? Parviendrait-il à échanger avec ses ravisseurs s’il ne possédait plus le précieux bijou ? Sa transformation récente lui avait-elle donné le don extrêmement rare du langage ?

Je glissai la bague dans l’étui de ma dague. Je refis une tentative afin de localiser Alix ou de communiquer avec lui par la télépathie, mais le même bruit parasite m’empêcha de réussir. Peut-être était-ce l’endroit qui posait problème ? Je m’éloignai du roc et j’essayai une nouvelle fois. Si l’esprit de mon Cyldias semblait toujours aussi fermé et son aura inaccessible, j’eus par contre la surprise de percevoir une distorsion dans les signaux qui me revinrent, comme si mon sortilège avait un instant hésité avant d’échouer. Je fronçai les sourcils et recommençai mon manège, attentive à repérer l’emplacement de ce phénomène singulier s’il se reproduisait, ce qui fut le cas. Et maintenant, comment réagir ?

Bien sûr, j’étais curieuse de me rendre sur place pour comprendre de quoi il retournait. Dans un même temps, je m’interrogeais sur ce que je pourrais faire une fois là-bas. J’ignorais également si ce n’était pas une espèce de guet-apens. Notre traversée n’était probablement pas passée inaperçue et je n’étais pas assez stupide pour me matérialiser bêtement dans la gueule du loup. Je fis finalement la première moitié du trajet par magie et la seconde à pied.

Près d’une heure plus tard, une habitation apparaissait dans mon champ de vision. Je recherchai une nouvelle fois Alix pour m’assurer d’être au bon endroit. Devant l’absence de danger imminent, je décidai d’aller cogner à la porte. J’étais encore à une quinzaine de mètres quand une jeune fille sortit de la maison au toit de chaume, sans me voir, et se dirigea vers le jardin. Elle avançait lentement, en s’appuyant sur une canne. M’entendant vraisemblablement, elle tourna la tête dans ma direction et plissa le nez, comme si elle se demandait si elle me connaissait. J’arrivai à sa hauteur au moment où elle vacillait dangereusement. Par réflexe, je tendis les bras. Juste à temps pour la recueillir, évanouie. Prise au dépourvu, j’allais crier pour demander de l’aide, mais je n’en eus pas besoin. Une femme franchissait justement le seuil de la chaumière et courait vers moi.

— Oh non, pas encore ! gémit-elle avant de crier « Valérien » à répétition, jusqu’à ce qu’un jeune homme d’une vingtaine d’années arrive au pas de course, essoufflé.

— J’étais derrière la grange, Mam Lucille.

Il ne sembla pas étonné de devoir porter l’adolescente dans ses bras jusqu’à l’intérieur. Dès que la jeune fille fut installée sur une paillasse de fortune, toujours inconsciente, la femme m’adressa la parole, dans un étrange dialecte.

— La santé de Delphie m’inquiète de plus en plus. Elle a toujours été fragile, mais depuis quelques mois, son état s’était considérablement amélioré. Et soudainement, voilà que ça recommence…

Tant de spontanéité envers une étrangère témoignait de la détresse de cette femme. Elle devait être terriblement démunie face à ce qui affectait sa fille.

— Elle peut rester évanouie combien de temps ? m’enquis-je.

— Ce n’est jamais pareil. Parfois, ce n’est que quelques heures, alors qu’en d’autres occasions, ce sont des jours entiers sans remuer un cil. C’est à désespérer.

Sans réfléchir aux conséquences de mes actes, je m’approchai et imposai mes mains au-dessus de Delphie. Normalement, l’adolescente aurait dû s’envelopper d’une douce lumière bleutée, enclenchant une guérison partielle de son mal. Maxandre m’avait appris qu’il fallait souvent plusieurs séances de ce genre pour canaliser les énergies nécessaires à un rétablissement complet. À ma grande surprise, le cocon qui se créa prit une teinte d’une blancheur éclatante, m’éblouissant brièvement. Sous le choc, je retirai mes mains. Étonnamment, le cocon ne disparut pas plus qu’il ne se modifia. Je me tournai vers la femme et demandai doucement :

— Ce n’est pas votre véritable fille, n’est-ce pas ?

Elle hocha négativement la tête, fixant avec fascination la silhouette lumineuse. Une larme glissa sur sa joue, qu’elle essuya d’une main tremblante sans lâcher Delphie des yeux.

— Elle va mourir, n’est-ce pas ?

Je haussai les sourcils. Comment pouvait-elle parvenir à une telle conclusion ?

— Bien sûr que non, la rassurai-je. C’est une enveloppe de protection. Delphie n’est pas malade, alors son corps la défend contre mon intervention, qu’il a prise comme une agression. Tout devrait rentrer dans l’ordre d’ici quelques minutes.

— Elle n’est pas malade ? s’étonna Lucille.

Pensive, je me contentai de nier de la tête. Je ne m’expliquais pas ce qui causait tant de tort à cette jeune femme puisque ce n’était pas la maladie. Si tel avait été le cas, le cocon de lumière aurait été coloré.

— De toute façon, cela ne change rien puisqu’elle va mourir…

Encore cette réplique défaitiste !

— Pourquoi devrait-elle mourir ? demandai-je. Elle n’est même pas malade !

Je sentais une pointe d’exaspération monter en moi.

— Parce que les êtres normaux ne produisent pas de lumière lorsque les guérisseurs de Bronan leur imposent les mains. Ils se contentent de guérir, point.

— Probablement parce que les guérisseurs que votre fille a rencontrés ne possèdent aucun don attribuable à la magie, d’où l’absence de réaction de Delphie. Et puis, si cette lumière pose problème, vous n’avez qu’à vous abstenir d’en parler à quiconque.

— Qui êtes-vous ? voulut savoir Lucille à brûle-pourpoint.

Désormais capable de me défendre contre la majorité des êtres qui peuplaient l’univers de Darius et convaincue que l’étrange signal magique qui m’avait conduite ici ne représentait pas une menace, je ne cachai pas mon statut de Fille de Lune. L’absence de réaction de Lucille face à cette révélation fut éloquente ; son savoir concernant l’histoire de Bronan n’incluait pas l’existence des Filles d’Alana.

— La magie est considérée comme une pratique réservée aux hommes. Vous ne le saviez pas ? s’enquit-elle, surprise. Voilà pourquoi je m’inquiète maintenant davantage pour Delphie. Si on découvre qu’elle produit de la lumière…

Je lui suggérai de ne rien dire. Après tout, il n’y avait qu’elle et moi comme témoins du phénomène. Cette fois-ci, elle sembla comprendre le message. Pour ma part, j’assimilai avec frustration l’information relative à l’interdiction de la magie au féminin. Il n’y avait donc pas que sur la Terre des Anciens que la bêtise sévissait…

 

* *

*

 

À son réveil, Alix n’avait pu qu’ouvrir les yeux. Tout autre mouvement lui était impossible.

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! » jura-t-il en son for intérieur. Son environnement lui rappelait douloureusement les cachots du château de son enfance. Il se souvenait avoir croisé son père juste avant de franchir le passage vers Bronan, puis le froid intense qui l’avait pénétré dans l’espace-temps, la douleur cuisante ressentie dans le bas de son dos, comme si sa tache de naissance en forme d’Édné venait d’être redessinée au fer rouge, et enfin sa perte de conscience. Combien de temps s’était-il écoulé depuis ? Bien malin celui qui aurait pu le dire. Même si, grâce à sa maîtrise de la magie temporelle, Alix savait que le soleil atteindrait bientôt son zénith, cela ne lui disait pas s’il était dans cette pièce humide et sale depuis deux heures ou deux jours.

Naïla n’étant pas avec lui, il tenta de la localiser, faisant momentanément abstraction de son manque de mobilité. Peine perdue. Un abîme de vide lui répondit. Il essaya de communiquer avec elle par télépathie, mais son message se répercuta plutôt en écho dans son crâne douloureux.

« Ce château est protégé comme celui des Canac, pensa Alix. Quiconque n’a pas reçu l’aval des propriétaires ne peut utiliser la magie. Ce qui veut dire que je suis aussi impuissant et vulnérable à l’intérieur de ces murs que si je n’avais pas le moindre pouvoir. Il faut donc que je sorte d’ici. Et vite ! »

Plus facile à dire qu’à faire quand plus un muscle de votre corps n’obéit à vos commandements. S’obligeant au calme, Alix se plongea dans ses réflexions, cherchant à se rappeler s’il avait déjà été confronté à un sortilège de ce genre. Il ressassait toujours ses souvenirs quand la porte s’ouvrit en grinçant sur ses gonds.

Voyant une Édnée pour la première fois, le Cyldias s’efforça de ne rien laisser paraître de ce qu’il éprouvait. La créature se déplaçait sur deux pattes, son corps longiligne couvert d’écailles argentées et luisantes se mouvant gracieusement. De longues ailes diaphanes étaient repliées dans son dos et ses bras se terminaient par quatre doigts aux longues griffes. Le visage étrangement humain, comparativement au reste du corps, avait pour seule particularité ses yeux noirs, sans distinction entre les pupilles et les iris. Savoir qu’il était un descendant direct de cette race pensante extrêmement rare était déjà un choc pour Alix. La confrontation serait une expérience bien plus traumatisante qu’enrichissante.

D’un mouvement de la patte, la femelle libéra le jeune homme du sortilège qui l’entravait. Alix retint difficilement un soupir de soulagement en sentant le sang circuler de nouveau dans ses membres endoloris. Il s’assit lentement, puis s’adossa au mur de sa geôle, un désagréable élancement au creux des reins. Il observa sa visiteuse en silence, lui laissant l’initiative pour la suite des choses. Il préférait être prudent pour le moment.

L’Édnée le regardait, la tête inclinée vers la droite. D’une griffe, elle se tapotait la lèvre supérieure, songeuse, comme si elle évaluait une marchandise qu’elle hésitait à acheter. D’un geste, elle fit signe au Cyldias de se lever. Alix s’exécuta, mais le mouvement engendra la même effroyable douleur dans le bas du dos. La souffrance qu’affichaient les traits du jeune homme entraîna un sourire d’un rare sadisme chez la femelle, qui se mit à tourner lentement autour de son prisonnier. Elle s’arrêta un instant dans son dos et Alix s’imagina qu’elle contemplait sa tache de naissance puisqu’il n’avait plus de chemise. Elle revint ensuite face à lui, le fixa droit dans les yeux, comme si elle souhaitait lire dans son âme, puis quitta la pièce sans un mot pour ordonner que l’on apporte des chaînes et une chemise propre.

Un peu plus tard, Alix sortait au grand jour, dans la cour intérieure d’un immense château, les chaînes aux poignets, sous les huées d’une foule de dignitaires rassemblés pour l’occasion. On le fit monter sur une estrade de bois bâtie à la hâte, pour le présenter comme suit :

— Hier, par le passage sud de la Vallée d’Ardoise, est revenu l’un des deux enfants mystiques que la reine Mauritane a soustraits en secret aux lois de notre monde à leur naissance, il y a plus de vingt-cinq ans. Cet enfant devenu adulte, le voici.

L’Édné mâle qui s’adressait à la foule désigna Alix d’un doigt accusateur.

— Si nous ignorons encore aujourd’hui l’identité des parents de cet être impur, nous pouvons par contre affirmer qu’il n’est pas, au contraire de ce que soutenait notre défunte reine, l’enfant que nous attendons tous, l’enfant de la prophétie. Cet enfant mystique, censé racheter les torts causés par Ulphydius à notre peuple ainsi qu’au reste de l’univers de Darius ; n’est malheureusement pas encore né. Comme vous le savez tous, Mauritane a laissé derrière elle un dessin de la tache de naissance que portait supposément le bébé que fut un jour l’homme devant vous. Cette tache de naissance doit avoir la forme d’un Édné.

Joignant le geste à la parole, le mâle déroula un parchemin que lui avait tendu un subalterne posté à gauche de l’estrade et le présenta à l’assemblée massée à ses pieds. Alix put bientôt observer un croquis de la marque maintes fois décrite par ses multiples conquêtes d’une autre vie. Au moment même où l’harangueur public annonçait à la foule attentive que la reine défunte n’avait en fait qu’interprété une marque de naissance disgracieuse, Alix comprit l’origine de la folle douleur ressentie à deux reprises, de même que l’élancement qui perdurait. Il était prêt à parier que la silhouette parfaitement reconnaissable qui ornait autrefois le creux de ses reins n’était maintenant plus qu’un souvenir, remplacé par une tache informe pour mystifier les crédules aujourd’hui rassemblés.

Deux gardes armés montèrent vivement sur la charpente branlante pour encadrer Alix et l’obliger à présenter son dos meurtri. La chemise négligemment jetée sur les épaules du Cyldias avant sa sortie en public fut retirée d’un geste théâtral. Des « Oh » et des « Ah », suscités aussi bien par ce qu’était devenue sa tache de naissance que par les cicatrices qui marquaient sa peau, se firent entendre en cascade, de même que des critiques acerbes sur les agissements de la reine décédée. Alix n’écoutait qu’à demi, cherchant une façon de se tirer vivant de ce guêpier. Il n’était pas dupe. Cette mascarade ne visait qu’une chose : convaincre le peuple des Édnés que sa mise à mort était le seul dénouement possible à cette histoire.

Un roulement de tambour se fit entendre, mettant un terme aussi rapide que spectaculaire aux commentaires et aux rumeurs naissantes. La foule se fendit pour laisser passer l’Édnée qu’Alix avait brièvement vue dans sa cellule. Une couronne sur la tête, la femelle avançait d’un pas lent et calculé, fixant au passage chacun des sujets composant la haie formée en son honneur. Un mélange de crainte et d’admiration se lisait sur le visage des dignitaires, sentiments qu’Alix ne partageait nullement, penchant plutôt pour le dégoût et la colère. Cette Édnée puait la perfidie et la méchanceté. La reine ne monta pas sur l’estrade, n’accordant visiblement aucune confiance à la structure branlante. Elle préféra s’adresser à la foule idolâtre depuis la terre ferme.

— Représentants du peuple des Édnés, je suis ici aujourd’hui pour sceller le destin de l’être mystique qui a osé revenir sur la terre de ses ancêtres alors qu’il ne méritait même pas de vivre. Plutôt que de rester dans son monde d’adoption, il est venu nous narguer de lui avoir autrefois laissé la vie sauve. Devant tant d’arrogance, je me vois dans l’obligation d’ordonner sa mort dès le prochain lever du soleil. Son corps sera ensuite exposé pour l’exemple sur les lieux de l’exécution, soit la grande place publique de la ville. J’ai dit.

Sur ces mots, tous s’inclinèrent, signe de soumission à la volonté royale. Alix grinça des dents avant de briser le silence qui s’annonçait. D’un ton faisant honneur à l’arrogance dont la reine l’avait accusée quelques instants auparavant, il s’enquit :

— Serait-ce trop demander que de connaître la méthode d’exécution, votre majesté ?…

Les deux derniers mots avaient été prononcés sans politesse aucune. Et volontairement. Ce qui n’échappa pas à l’assistance. Alix et la reine se jaugèrent du regard avant que cette dernière n’annonce, une satisfaction malsaine teintant sa voix :

— Feu de dragon…

Elle marqua une pause avant d’ajouter :

— Ces attachantes petites bêtes croient souvent que les condamnés ne sont ni plus ni moins que des jouets qu’on leur offre… Tu as la nuit pour espérer ne pas souffrir trop longtemps.

Sur cette charmante perspective, elle s’en fut, les dignitaires et les nobles sur ses talons. Quand la foule se fut dispersée, Alix se retrouva seul avec ses chaînes et deux gardiens chargés de le reconduire à sa cellule. L’orateur avait également quitté la place. C’était le moment idéal pour tenter un nouvel essai de sa magie. Il voulut disparaître pour retourner sur les lieux de son arrivée, mais il resta bêtement sur place. Les gardes le saisirent, leurs extrémités griffues se refermant comme des serres autour de ses bras. Le cliquetis des fers se fit entendre lorsqu’ils se mirent en marche vers l’aile gauche du château.

— Crée une cellule temporelle et attends-moi…

Reconnaissant la voix qu’il avait si souvent entendue en rêve, Alix s’exécuta sans tergiverser. À la grande surprise des deux Édnés qui l’encadraient, le Cyldias se volatilisa, les laissant seuls dans la cour déserte du château.

Étonné que cette forme de magie ait fonctionné, Alix s’assit sur les marches de l’estrade de fortune et attendit. Contrairement aux vouivres de Mésa, les gardes ne s’étaient pas statufiés, ils avaient disparu. Mais Alix n’en avait cure, le principal étant qu’il avait obtenu un sursis. Il glissa une main enchaînée dans son dos, tâtant du bout des doigts sa peau devenue curieusement lisse.

« Ils ont effacé la tache, soupira Alix. Jamais je ne pourrai prouver qu’elle a bel et bien existé. Et si je ne peux pas le prouver… »

Interrompant ses réflexions, une Édnée de grande taille fit son apparition. Alix ne cacha pas sa stupéfaction devant cette prouesse. Pénétrer dans une cellule temporelle que l’on n’a pas soi-même créée est un exploit digne des plus grands Sages. Mais il n’était pas au bout de ses surprises. Les yeux de la femelle n’étaient pas noirs comme ceux de tous les Édnés qu’il avait rencontrés depuis sa capture, mais-plutôt identiques aux siens à une nuance près : les teintes de bleu et de vert étaient inversées. Jamais encore le Cyldias n’avait croisé un regard comme le sien et cette similitude le troubla. Ce ne pouvait être le fruit du hasard. Le choc le laissa sans voix. La femelle lui sourit.

— Je m’appelle Solianne. Je suis ta mère, Alix. Celle qui espère depuis si longtemps que tu reviennes sur la terre de tes ancêtres.

Elle marqua une courte pause avant de soupirer et de reprendre :

— Malheureusement, je n’avais pas prévu que ça se passerait comme ça.

— Ce n’était pas ma première condamnation à mort, vous savez… Et je suis toujours là, mentionna Alix dans un haussement d’épaules qu’il voulait nonchalant.

Pour une rare fois dans sa vie, le jeune homme était intimidé. Contrairement à sa récente rencontre avec son père, il ne ressentait aucune antipathie pour l’Édnée, aucune haine. Au contraire, il se surprit plutôt à espérer qu’elle ne soit pas déçue de ce qu’il était devenu, un peu comme un gamin cherchant l’approbation maternelle. En ce moment même, il avait la curieuse impression de n’avoir pas plus de dix ans et cela le déroutait.

— Je sais. J’ai chaque fois craint pour ta vie et cette fois ne fait pas exception, à la différence près que je puis aujourd’hui intervenir. Ce qui m’était impossible auparavant…

Une larme roula sur la joue de Solianne.

— Viens, dit-elle en lui tendant la main comme à un enfant, après l’avoir magiquement débarrassé de ses fers. Il est préférable que nous fassions plus ample connaissance ailleurs. Ici, l’air est malsain.

Ensemble, ils disparurent du domaine royal. Les gardes affectés à la surveillance d’Alix furent bien en peine d’expliquer ce qui avait pu se passer…

 

* *

*

 

Sous le couvert de la nuit, Roderick avait traversé vers Mésa par le passage que Naïla et Alix avaient emprunté pour quitter le monde aquatique. Il préférait éviter l’océan, conscient que les sirènes pourraient détecter sa présence. Empruntant une nouvelle apparence humaine, il s’était ensuite rendu au marécage qu’il connaissait bien. Sous le clair de lune, il avait constaté les résultats du carnage effectué par son fils et Naïla. Des relents de magie flottaient encore dans l’air, de même que la puanteur des cadavres en décomposition qui se mêlait aux odeurs nauséabondes des marais. Il ne pourrait donc pas s’associer avec les sorcières d’eau pour ce qu’il projetait. Il savait que d’autres villages habités par ces chipies existaient – à preuve, celui à côté duquel il était apparu moins d’une heure plus tôt –, mais il lui faudrait alors lier connaissance et tout le tralala, et l’envie d’expliquer ses origines et ses intentions lui faisait défaut. Ici, les liens avaient été tissés par le passé, ce qui lui aurait de beaucoup simplifié la vie. Il se frotta le menton, songeur. Il allait devoir modifier son plan.

 

Quête d'éternité
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